"190 ans de passion littéraire"

 

Un jardin sur le ventre

Fabienne Berthaud

JBZ & Cie

  • Conseillé par
    12 janvier 2011

    La quatrième de couverture dit :
    C’est l’histoire ordinaire de gens ordinaires dans une région où il ne fait ni beau ni mauvais. C’est l’histoire d’un peu tout le monde. L’histoire d’une vie fauchée. D’un amour qui s’arrête. D’une mère qui part. D’un mari qui devient veuf. D’un veuf qui ne veut pas le rester. C’est l’histoire de gens qui ne se comprennent pas. D’une sœur qui regrette. D’un frère qui revient. Il y a des petits-enfants qui souffrent, qui se taisent. Des filles qui pleurent, qui fument et des chiens qui aboient. C’est l’histoire banale de la vie et de la mort.

    Mais c’est surtout l’histoire de la vie de Suzanne. Elle qui meurt à 70 ans et qui laisse son mari Franck et deux filles Marie et Gabrielle.
    Son mari est une forte personnalité, de celle qui écrase les autres, un être égoïste et tyrannique.
    Et c’est Gabrielle qui raconte la vie de sa mère. La Mémère qui l’a élevée et cajolée, une mère Bertrande, incapable d’amour hormis envers les hommes. Tante Jackye malade après la Seconde Guerre Mondiale et qui mourra de tuberculose. Puis, Suzanne obligée de vivre avec sa mère. La pension, les amants de passage de sa mère toujours nombreux, son demi-frère Antonio, sensible et malhabile. La rencontre avec Franck. Un bonheur de quelques mois qui laissera vite place à la désillusion. Une vie étouffée à craindre les excès violents de son mari, à s’effacer devant lui. Toujours. Lui laisser le devant de la scène et « courber l’échine ». Retenir sa respiration quand il rentre le soir et ne rien dire. Et faire comme si tout allait bien...

    Certains se poseront la question : pourquoi ne l'a-t'elle pas quitté quand il était encore temps ? Parce que dans les années 60 et 70, le divorce était mal vu.

    Les sentiments de Gabrielle apparaissent à travers ce récit. Ni elle, ni sa sœur n’étaient dupes du comportement de leur père. Autant de mots qui lèvent le voile sur cette famille.
    Comment cet homme va réagir après le décès de sa femme? Je vous laisse le découvrir...

    J’ai été énormément touchée par cette lecture ! Et je suis encore remplie d’émotions peut-être parce qu’il a trouvé des échos en ma personne. Je l'ai terminé avec une boule dans la gorge...
    Sans jamais tomber dans le pathos, il s’agit d’un livre terriblement juste sur la vie de gens qui comme Suzanne "paraissent" ordinaires.


  • Conseillé par
    30 décembre 2010

    Roman de Fabienne Berthaud.

    Quand Suzanne meurt, à 70 ans, elle laisse un mari égoïste qui ne comprend pas comment elle a pu lui faire ça, trois chiens désemparés et deux filles, Marie et Gabrielle, qui affrontent différemment la mort de leur mère. C'est la plus jeune, Gabrielle, qui prend en charge le récit. Dans un dialogue à une voix, elle retrace la vie de sa mère: son enfance à la fois misérable et enchantée, ses désillusions de jeune fille, sa solitude d'épouse, son sentiment de petitesse. Toute une existence dévouée aux autres dans l'oubli morbide d'elle-même. Gabrielle raconte tout: l'indifférence de sa grand-mère Bertrande, la sauvagerie de son oncle Antonio, la mesquinerie de son père Franck qui tenait toute la famille dans la crainte de ses brusques explosions de violence, les rêves piétinés et les peines scellées.

    "Un jardin sur le ventre" (p. 76), c'est une expression de vieille femme pour ne pas nommer la mort, pour ne pas nommer le lieu où s'arrêtent les vivants à la fin de leur parcours. Ce jardin sur le ventre a des couleurs de paradis, de champ fleuri éternellement ensoleillé, toutes les couleurs que n'a pas connues Suzanne. À écouter Gabrielle, on comprend que la vie de sa mère n'a pas été rose, que Suzanne n'a vécu que dans "cette rêverie fondamentale qui [l']emportait toujours sur les rivages d'un bonheur imaginaire." (p. 91)

    La narration est une adresse douloureuse à la mère disparue. Gabrielle dit "tu" comme si elle attendait une réponse, comme si retracer la vie de sa mère allait la ramener, voire rendre sa vie plus belle. Mais il est impossible de réécrire une existence. Si la fin du texte peut sembler décevante, elle est en fait d'une poignante simplicité: Gabrielle se réveille et accepte de laisser partir sa mère. Elle ne peut la retenir à elle-seule. L'amour immense de Gabrielle pour sa maman renvoie douloureusement à l'attitude froide et désintéressée de Bertrande. Au-delà de l'histoire de Suzanne, Gabrielle dévoile ses propres sentiments, son agacement et ses colères.

    Ce texte est émouvant et se lit étonnement vite. Je me suis retrouvée dans beaucoup de traits de cette famille qui ne sait pas se parler, ni se comprendre, ni vivre ensemble. Malgré la pesanteur du sujet, l'auteure évite les écueils trop faciles du pathos et du misérabilisme. Ce roman m'a rappelé, sans que je puisse l'expliquer, La place d'Annie Ernaux, texte qui m'avait pourtant déplu. Le roman de Fabienne Berthaud est à la fois tendre et poignant. Sans être bouleversant, il offre un éclairage pudique et lucide sur les familles ordinaires.