- EAN13
- 9782402045551
- Éditeur
- FeniXX réédition numérique (N. Blandin)
- Date de publication
- 1991
- Langue
- français
- Langue d'origine
- français
- Fiches UNIMARC
- S'identifier
Livre numérique
« Nous voilà débarrassés de Proust », disait jadis Sartre en guise d’hommage à
Husserl. À vrai dire, Hélé Béji n’en a jamais été embarrassée, non plus que de
l’autre tradition où elle a été formée, c’est-à-dire la tentative d’épuration
et de spiritualisation de la prose romantique engagée par Baudelaire et ses
épigones - et c’est ce qui fait toute sa force. C’est ce qui lui permet d’être
la femme d’un pas en arrière, en l’occurrence vers les temps classiques, dont
cet « itinéraire » dans l’espace est la figure. Non que l’Orient, en tant que
tel, alimente quelque fiction : à l’Occident, des lieux « occidentalisés » ne
sauraient servir de métaphore. On ne trouvera pas plus dans ce livre que dans
l’Œil du jour (1985) de mythe des origines, parce qu’il ne s’agit pas du tout
d’origine, mais de provenance. D’une provenance présente comme passée dans la
nature et dans les êtres pour autant qu’ils demeurent humains, et ainsi
rigoureusement présente, intacte. Avec cet intact, la plupart trichent, et
même la nouvelle médiocrité planétaire trouve dans cette tricherie sa modalité
propre : contre le présent, en Europe comme ailleurs, la subjectivité tribale,
« autonome », dégénérée, psychasthénique tripote en effet un mythe, le mythe
de l’actuel et de l’« intime » comme réactualisation perpétuelle de son échec.
De là la satire, de là surtout l’admirable inversion par laquelle la satire,
chez Hélé Béji, ne frappe plus l’habitude, le préjugé, le passéisme, mais
l’actualisme. Le fétichisme le plus redoutable contrefait le présent et
convoite l’anecdote absolue, celle qui assurerait à la vie et à la littérature
- qu’on pense au Nouveau Roman - son « fond » sans fond. Là-contre, Hélé Béji,
sans céder jamais à la tentation néoclassique, dresse une Forme plastique,
insistante, despotique, et pourtant toujours fluide et délicate par la grâce
de sa modestie et de sa dérision féminines. Cette Forme est plus qu’un style -
la primauté juridique du regard pour l’humain. Elle exprime l’être-au-monde
d’une pensée insomniaque, c’est-à-dire solitaire et vigilante - observante,
discernante, considérante. Mais le plus beau, l’indicible pourtant dit est le
tressaillement suprasensible où cette pensée déborde et se ressaisit : « Un
tressaillement de haine ou de miséricorde ? Un bruit gratte aux fenêtres, sans
doute les mouvements encore invisibles de la nouvelle saison, un tourbillon
particulier du vent, un dernier craquement du froid. La nouvelle saison flotte
autour de l’ancienne dans un fragile affleurement d’enthousiasme, une
harmonieuse anarchie de murmures d’herbes fondant comme des arômes de bouquet
garni dans le feu doux d’une cocotte ». E. Martineau
Husserl. À vrai dire, Hélé Béji n’en a jamais été embarrassée, non plus que de
l’autre tradition où elle a été formée, c’est-à-dire la tentative d’épuration
et de spiritualisation de la prose romantique engagée par Baudelaire et ses
épigones - et c’est ce qui fait toute sa force. C’est ce qui lui permet d’être
la femme d’un pas en arrière, en l’occurrence vers les temps classiques, dont
cet « itinéraire » dans l’espace est la figure. Non que l’Orient, en tant que
tel, alimente quelque fiction : à l’Occident, des lieux « occidentalisés » ne
sauraient servir de métaphore. On ne trouvera pas plus dans ce livre que dans
l’Œil du jour (1985) de mythe des origines, parce qu’il ne s’agit pas du tout
d’origine, mais de provenance. D’une provenance présente comme passée dans la
nature et dans les êtres pour autant qu’ils demeurent humains, et ainsi
rigoureusement présente, intacte. Avec cet intact, la plupart trichent, et
même la nouvelle médiocrité planétaire trouve dans cette tricherie sa modalité
propre : contre le présent, en Europe comme ailleurs, la subjectivité tribale,
« autonome », dégénérée, psychasthénique tripote en effet un mythe, le mythe
de l’actuel et de l’« intime » comme réactualisation perpétuelle de son échec.
De là la satire, de là surtout l’admirable inversion par laquelle la satire,
chez Hélé Béji, ne frappe plus l’habitude, le préjugé, le passéisme, mais
l’actualisme. Le fétichisme le plus redoutable contrefait le présent et
convoite l’anecdote absolue, celle qui assurerait à la vie et à la littérature
- qu’on pense au Nouveau Roman - son « fond » sans fond. Là-contre, Hélé Béji,
sans céder jamais à la tentation néoclassique, dresse une Forme plastique,
insistante, despotique, et pourtant toujours fluide et délicate par la grâce
de sa modestie et de sa dérision féminines. Cette Forme est plus qu’un style -
la primauté juridique du regard pour l’humain. Elle exprime l’être-au-monde
d’une pensée insomniaque, c’est-à-dire solitaire et vigilante - observante,
discernante, considérante. Mais le plus beau, l’indicible pourtant dit est le
tressaillement suprasensible où cette pensée déborde et se ressaisit : « Un
tressaillement de haine ou de miséricorde ? Un bruit gratte aux fenêtres, sans
doute les mouvements encore invisibles de la nouvelle saison, un tourbillon
particulier du vent, un dernier craquement du froid. La nouvelle saison flotte
autour de l’ancienne dans un fragile affleurement d’enthousiasme, une
harmonieuse anarchie de murmures d’herbes fondant comme des arômes de bouquet
garni dans le feu doux d’une cocotte ». E. Martineau
S'identifier pour envoyer des commentaires.