"190 ans de passion littéraire"

 

DANS L'OMBRE DE CHARONNE, Un épisode de la Guerre d'Algérie

Désirée Frappier, Alain Frappier

Éditions du Mauconduit

  • Conseillé par
    26 septembre 2012

    Le 8 février 1962, à Paris, à quelques semaines des accords d’Evian qui mettront un terme à la guerre d’Algérie, une manifestation contre l’OAS est violemment réprimée par les forces de l’ordre. Les manifestants qui avaient cru pouvoir se réfugier dans la bouche de métro de la station Charonne sont assaillis, la bousculade qui en résulte et l’acharnement policier sur ces corps enchevêtrés sont tels que le bilan s’élève à huit morts.



    Soucieux de porter ces faits à la connaissance des jeunes générations, Désirée et Alain Frappier ont réalisé ce roman graphique, ”Dans l’ombre de Charonne”. Ils se sont appuyés sur le témoignage de Maryse Douek, qui avait 17 ans à ce moment-là et a fait partie de tous ceux qui ont été pris au piège dans la station Charonne.
    Après l’excellente préface de l’historien Benjamin Stora, “Charonne ou l’oubli impossible”, l’album s’ouvre sur un prologue couvrant de septembre 1960 à 1961. Il permet, par l’intermédiaire de Maryse, de dresser un état des lieux de la France pendant cette période. Certes, Maryse fréquente un lycée privilégié, celui de Sèvres, mais elle est de souche égyptienne, car ses parents ont émigré. Elle ne dispose d’ailleurs que d’un passeport de Juive apatride : la demande d’obtention de la nationalité française de ses parents n’a pas abouti, l’enquête effectuée à leur sujet ayant démontré leurs sympathies communistes. Le point de vue de Maryse est pertinent car il ne se limite pas à l’exposé de ses propres convictions (ou interrogations) mais balaie tout le spectre des attitudes françaises face à la guerre d’Algérie, sans manichéisme mais avec un souci constant de mise en perspective. Le tout est brossé sur fond d’une vie lycéenne agitée de débats politiques : l’information circule et est commentée en permanence par des jeunes gens que leur « furieuse envie de s’amuser » n’empêche pas de vouloir s’impliquer, avec un sens aigu de la justice, dans un conflit qui les suit depuis l’école primaire et va les rattraper.
    Didactiques sans être pesants, car le récit est très rythmé et, surtout, personnel, les auteurs veillent à donner avec clarté et concision tous les éléments nécessaires à la compréhension des événements, en France et sur le sol algérien. Pour ce faire, ils usent parfaitement des possibilités que leur offre le genre qu’est la bande dessinée, en insérant si besoin est des extraits de documents ou des textes explicatifs au sein des planches.
    Le corps de l’album est représenté par la période de juillet 1961 à juillet 1962. Le drame du métro Charonne, tel que Maryse l’a vécu, s’inscrit avec précision dans un contexte où rien n’est occulté, en particulier les violences dont sont en permanence l’objet les Algériens à Paris et le massacre auquel donne lieu leur manifestation du 17 octobre 1961.
    L’album se clôt sur un épilogue, cinquante ans plus tard, qui voit la projection d’un documentaire, “Dans l’ombre de Charonne”, auprès de survivants, parmi lesquels Maryse, ou de leurs descendants, dont les interrogations légitimes quant à l’impunité des coupables, pourtant identifiés, demeurent sans réponse.

    La force de “Dans l’ombre de Charonne”, dont le noir et blanc tout comme le graphisme, efficace, sont parfaitement adaptés au propos, c’est d’utiliser la voix d’une lycéenne de 17 ans, vivement interpellée par ce qui l’entoure, pour raconter un fait historique, sans rien perdre en crédibilité car son histoire individuelle est parfaitement ancrée dans l’Histoire.
    Très intelligemment conçu, cet ouvrage passionnant, où la narration réussit le tour de force d’être constamment dynamique sans pour autant rester à la surface des choses, prouve à nouveau, si besoin était, que le neuvième art peut se faire pédagogue et intéresser même les plus réfractaires à l’Histoire, telle qu’elle continue à nous construire.