"190 ans de passion littéraire"

 

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15 septembre 2013

Scandale à la une

Un prestigieux magazine anglais mandate Tamara Sim, pigiste de la presse people de 27 ans, pour réaliser un portrait de la papesse du journalisme d’investigation, Honor Tait. A 80 ans, cette « légende » a couvert les événements les plus importants des 50 dernières années. Alors que, peu à peu, la solitude et la vieillesse la gagnent, elle tient à entretenir sa légende - et ses finances- en publiant un recueil de ses plus prestigieux articles. Pour le promouvoir, elle n’a concédé à son éditrice qu'une seule et unique interview, tant elle nourrit de mépris pour la « peoplisation » croissante des medias et l’inculture des jeunes journalistes. Mais elle est loin de s’imaginer que la seule expérience de Tamara consiste à écrire des légendes de photos volées sur d'éphémères stars de la télé-réalité. Et la rencontre qui s’annonçait explosive… sera un échec cuisant !  La jeune journaliste  va devoir alors trouver un nouvel angle pour son papier. Pourquoi alors ne pas fouiller dans le passer de la célèbre Honor Tait pour tenter de découvrir quelques horribles secrets?

Pour son entrée en littérature, Annalena McAfee, l’épouse de l’écrivain Ian McEwan, a eu l’astucieuse idée d’opposer deux figures féminines, chacune emblématique d’un certain journalisme d’hier et d’aujourd’hui. Avec une rare finesse et un goût prononcé pour les détails psychologiques de ses personnages (parfois même un peu trop car la première partie – « avant » la rencontre - s’écoule sur plus de 200 pages), elle réussit à nous rendre chacune des héroïnes attachantes tout en esquissant un portrait machiavélique des medias contemporains. Mais au-delà du règlement de compte avec une certaine presse, elle aborde des thèmes aussi vastes que la difficulté de vieillir seul, la part d’intime cachée en chacun de nous, la fuite du temps et celle des illusions. Au terme de ce récit elle amène le lecteur à s'interroger sur le sens de l’expression « réussir sa vie » à notre époque. Dernier détail, Annalena McAfee situe son intrigue en 1997. On s’en étonne, avant de réaliser que cette année-là a été marquée par l’accident de Lady Di, traquée par des paparazzis en quête d’un scoop d’opérette. Peut-être un message supplémentaire de ce livre très prenant...

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13 septembre 2013

La petite fille réfugiée

Enfant, Laura Alcoba a dû quitter l’Argentine pour rejoindre sa mère déjà réfugiée en France, alors que son père restait à Buenos Aires, emprisonné. " Le bleu des abeilles " rassemble des souvenirs de cet exil.

Dans ses précédents textes, et notamment  " Les passagers de l’Anna C. ", récit magnifique sur l’engagement de ses parents auprès de Che Guevara, Laura Alcoba témoignait déjà de cette situation tragique que traversait l’Argentine dans ces années-là, en construisant un travail de mémoire tout en finesse, où l’expérience personnelle est un révélateur de l’histoire collective. Ce petit recueil est donc une pierre de plus à son œuvre, et peut-être est-il encore plus émouvant. A la fin de l’ouvrage, Laura Alcoba confie : « Ce livre est né de quelques souvenirs persistants bien que parfois confus, d’une poignée de photos et d’une longue correspondance dont il ne subsiste qu’une voix : les lettres que mon père m’a envoyées après mon départ de l’Argentine, où il était prisonnier politique depuis plusieurs années déjà. […] Durant toutes ces années, je les avais gardées avec moi sans avoir le courage ni la force de les relire. Je l’ai fait durant le printemps 2012 ».

Ici donc Laura Alcoba n’a pas dix ans, parle à peine français et se retrouve en banlieue parisienne. Elle découvre en vrac un pays, une langue, et la douleur de l’exil. On pourrait considérer au premier abord ces textes comme une série de courtes saynètes touchantes sur la vie quotidienne d’une enfant dans les années 70. Mais derrière les souvenirs typiques d’une époque –la copine qui possède tous les disques de Claude François- ou cocasses –la découverte du reblochon- le désarroi des enfants de réfugiés politiques transparaît. Par petites touches, discrètes nuances, Alcoba raconte la peur d’être montrée du doigt, de ne pas saisir ce qu’on lui dit, de ne pas réussir à se faire comprendre, de ne pas trouver de place dans ce nouveau pays.

Tout aussi passionnant, Laura Alcoba écrivain se souvient ici de son apprentissage de la langue française. Elle raconte sa fascination d’enfant pour les « e » muets : « quand on ne connaît que l’espagnol, on ne peut pas imaginer que de telles choses existent –une voyelle qui est là et qui se tait, ça alors ! »_, _son opiniâtreté pour parvenir à lire un roman en entier, " Les fleurs bleues " de Queneau, qu’elle déchiffre mot à mot. Aussi, la romancière nous livre là un témoignage absolument passionnant sur la façon dont on s’approprie peu à peu une nouvelle langue jusqu’à la faire sienne.

Et, comme une musique de fond, la douleur de l’Argentine meurtrie, le pays où on ne retournera pas mais où le père est toujours enfermé, désormais inatteignable. Un très beau livre.

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12 septembre 2013

Tiercé gagnant: amour-famille-secret

On évoque bien souvent la relation privilégiée, et parfois tumultueuse, entre une mère et sa fille. Avec « La Confusion des peines », un récit intimiste et brillant d'émotion, Laurence Tardieu explore le lien viscéral qui unit une femme à son père. Et renoue avec ses thèmes de prédilection : l'amour, la famille, le secret.

Il y a dix ans, la sentence tombe comme un couperet. Le père de Laurence, un des directeurs de l'ex-Compagnie Générale des Eaux, est condamné pour corruption par la Cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion. Six mois ferme, pour avoir versé quatre millions de francs de pots-de-vin au parti socialiste de l'époque. Il est incarcéré. Lui si fiable, si honnête. Irréprochable, généreux, droit-dans-ses-bottes. Un homme sur qui l'on peut compter, à qui l'on s'abandonne, même. Un bon père, en deux mots.

Dès lors, l'univers de Laurence s'effrite. Après le jugement, rien ne sera plus comme avant. En quelques mois, sa mère meurt d'une tumeur au cerveau, tandis que son père se mure dans le silence, mais continue d'afficher avec calme des sourires rassurants. Alors, pour cesser de se taire, pour s'affranchir du silence et des non-dits, et ce malgré la formelle interdiction, la narratrice va faire naître le roman tant redouté. Elle prend la plume et fait tout voler en éclats. Ses sentiments, trop longtemps enfouis, jaillissent entre les lignes. A trente-sept ans, elle écrit pour comprendre, pour démasquer cet homme qu'elle croyait connaître par cœur. Ce géniteur qui lui ressemble tant mais a failli à sa tâche.

Si « La confusion des peines » se lit comme une plainte bouleversante, un vibrant appel, un formidable élan d'amour d'une femme à fleur de peau mais meurtrie par la trahison, c'est surtout un texte poignant qui se dévore sans lever les yeux, une belle réflexion sur l'être humain. C'est aussi l'écriture libératrice, qui comble le vide, brise les tabous et fait exister à nouveau.

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11 septembre 2013

Une histoire moralisante

C’est un western, un vrai, imaginé par un auteur français, et une femme en plus. Il n’en fallait pas plus pour secouer la rentrée littéraire 2013. L’Amérique plaît, et on peut presque parler de mode, en remarquant au passage que cette mode paie : après Maylis de Kérangal, qui en 2010 avec " Naissance d’un pont " (Prix Médicis) nous offrait un « roman à l’américaine », selon les termes de son éditeur, après Joël Dicker et " La vérité sur l’affaire Harry Québert ", Grand prix de l’Académie française l’an dernier, voici donc que Céline Minard s’y colle aussi, et s’attaque aux mythes fondateurs des Etats- Unis : l’éclosion, à partir du néant, d’une ville dans l’ouest sauvage. On ne sait pas encore si ce roman décrochera un de ces prix littéraires si convoités, mais, en tous cas, il fait déjà le buzz. Installons-nous, et plongeons dans l’Amérique selon Minard.

Dès les premières pages, nous voilà sur un chariot brinquebalant tiré par des bœufs, aux côtés de Brad, Josh et Jeffrey qui escortent une vieille grand-mère hurlant comme un coyote à chaque soubresaut. En chemin, une petite fille abandonnée se met à les suivre, alors ils la gardent avec eux. Ailleurs dans la plaine, avancent aussi Zeb, Gifford, Elie, hommes égarés ou déterminés, silencieux ou bavards, idéalistes ou pragmatiques, fragiles souvent, et leurs chemins à tous convergent sur un bourg qui n’a de bourg que le nom mais où ils vont se rencontrer. Autour d’une unique rue boueuse se dressent ici un saloon, quelques grandes tentes où on peut louer un lit de camp à la nuit, un barbier. Ces hommes arrivent là, cachant dans leurs souvenirs un passé plus ou moins dramatique que l’on va découvrir petit à petit, et ils arrivent avec un objectif : arrêter d’arpenter la prairie, se poser, et surtout s’organiser tous ensemble, créer un semblant de justice pour éviter de s’entretuer et trouver le moyen de se défendre des dangers extérieurs. En d’autres termes : construire une société.

Les femmes ne sont pas absentes de ce livre. Quelques figures mémorables surgissent au fil des pages et contribuent à l’ambiance survoltée du roman, notamment Sally, la tenancière du saloon, mère maquerelle gouailleuse qui tire au pistolet aussi bien qu’un cow-boy, ou Arcadia, la contrebassiste lesbienne.

Ces hommes et ces femmes dont on suit les aventures plutôt cocasses sont bien décidés à faire ce qu’ils peuvent et entre troc, arrangements à l’amiable, coups de sang et coups de main, la vie s’organise. Chacun regorge d’initiative et chacun contribuera au bien d’autrui, comme Zeb qui crée un établissement de bains ou Gifford qui met sur pied un service de courrier. Parmi eux, les Chinois trouvent leur place. Autour d’eux, les Indiens observent leur manège avec perplexité.

Alors c’est vrai : on retrouve son âme d’enfant quand on lit ce livre et on peut se laisser avec plaisir emporter au fil des pages dans les aventures palpitantes de ces cow-boys rugueux que Céline Minard campe avec brio. Loin du nombrilisme supposé de la littérature française, la romancière s’inscrit clairement dans une forme narrative en effet « à l’américaine », qui convient parfaitement aux grands espaces et aux coups de revolver. Mais est-ce suffisant ? Depuis quand l’art de reproduire une ambiance suffirait-il à faire de la littérature ? Céline Minard se livre à un exercice de style –faire un western. On peut estimer qu’elle l’a réussi. Oui mais : et alors ?

D’autant qu’en outre, on ne peut que regretter une vision un peu trop bon enfant de ce début de monde. Pas de morts brutales ni de viols dans ce roman, et pas d’injustice organisée en système, où l’unique objectif des uns serait de s’enrichir aux dépends des autres. Tous sont animés d’un bel esprit d’entreprise et respectueux d’autrui. Aussi, chacun trouve merveilleusement sa place dans le microcosme imaginé par la romancière, et la fortune sourit forcément à qui sait travailler. Une morale bien confortable qui peut quand même prêter à sourire.

On aurait pu penser qu’un auteur européen revisiterait le rêve américain, apporterait un éclairage nouveau, s’en saisirait pour faire entendre une voix singulière. Céline Minard a, au fond, simplement choisi de lui rendre hommage.

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10 septembre 2013

Naître à Ravensbrück

Je l’avoue, quand j’ai pris connaissance du sujet de « Kinderzimmer », je me suis dit : l’histoire d’une jeune résistante française, enceinte, au camp de concentration de Ravensbrück – écrite par une femme, en plus –, attention, on veut nous prendre en otage. Donc j’ai ouvert le livre sans trop y croire. Et trois heures et demie plus tard, ressortie du roman complètement bouleversée, je me promettais ne plus jamais exprimer de tels jugements à l’emporte-pièce.

Avant d’entrer dans le réseau, Mila s’appelait Suzanne Langlois. Sa mère s’étant jetée par la fenêtre pour abréger les souffrances liées à la maladie, elle habitait avec son père mutilé de guerre et son grand frère dans leur boutique de la rue Daguerre, où elle vendait des partitions de musique. Lorsque les Allemands ont occupé Paris, la boutique est devenue un lieu de renseignements clandestins. Une nuit, Mila a abrité un résistant blessé et leurs corps ont trouvé dans l’étreinte une consolation mutuelle. Quelques semaines plus tard, Mila était embarquée avec sa cousine Lisette dans le cauchemar nazi. D’abord un centre d’internement en région parisienne puis Ravensbrück, le camp des femmes.

Malnutrition, dysenterie, coups de bâtons, interminables appels dans l’aube glaciale, Mila tient bon alors que sa cousine perd peu à peu ses forces vitales. Mila n’y connaît rien, mais elle sent que le fœtus qui loge en elle, lui donne une raison de se battre. Le ventre d’une future mère plongée dans l’horreur concentrationnaire ne grossit pas. Du tout. Il faut que Mila perde les eaux (« les os », croit-elle, tétanisée par l’imminence d’un événement auquel l’environnement purement masculin de son enfance ne l’a pas du tout préparée) pour que ses compatriotes du Block finissent par croire à sa grossesse. De toute façon, à Ravensbrück, aucune femme n’a plus ses règles. À la naissance de James, Mila découvre le monde parallèle de la " Kinderzimmer ", la chambre des enfants. Oubliez les layettes et les ours en peluche : les bébés nés en camp ont maximum trois mois d’espérance de vie. Les rats, le froid et la faim sont leur quotidien. Mais les Alliés approchent, les amitiés les plus indéfectibles peuvent naître elles aussi derrière les barbelés, et Mila est un personnage de fiction : Valentine Goby nous entraîne dans ses pas de survivante forcenée, de mère à toute épreuve.

L’écriture de cette auteure aux huit romans très remarqués et d’une abondante œuvre pour la jeunesse n’aurait plus besoin d’être louée. Lyrique parfois, mais jamais flatteuse, explicite souvent, mais jamais aride, elle ajoute à la tradition de la littérature concentrationnaire la distance du romanesque, sans jamais rendre indécent le procédé fictionnel. Au contraire, le relief donné aux personnages, ces femmes auxquelles le camp n’est pas parvenu à ôter la singularité, la beauté de leurs sentiments (et non la « bonté »), la construction narrative haletante, en se mêlant aux descriptions omniprésentes du corps et de la maladie, de la faim, de la merde, font non seulement la lumière sur un chapitre méconnu de l’histoire des camps (la naissance de centaines de bébés), mais rendent un hommage puissant à la victoire de l’humain sur la barbarie.

Les dernières semaines de sa captivité, Mila se force à noter sur de minuscules morceaux de papier tous les indices qu’elle récolte de l’extermination des prisonnières, pour témoigner un jour, peut-être. « Kinderzimmer » remplit cette mission. Un roman qui se lit en apnée, un fragment de mémoire charnel et indispensable.

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