"190 ans de passion littéraire"

 

  • Conseillé par
    6 juin 2016

    Après des années de dur labeur dans le commerce de l'huile et des vins à Marseille, François et Marthe Mouret vivent une retraite paisible à Plassans, le fief familial des Rougon dont ils sont tous deux issus. Le couple vit retiré, loin de l'agitation mondaine et politique. Un bonheur simple qu'égaient leurs trois enfants, Octave, Serge et Désirée. Marthe est une épouse effacée et soumise, une mère aimante et dévouée. François est parfois un brin autoritaire, maniaque et avare mais la famille vit en parfaite harmonie. Tout change lorsque le maître de maison décide de louer l'étage à l'abbé Faujas et à sa mère, venus tout droit de Besançon. Missionné secrètement par Paris pour remettre Plassans dans le giron bonapartiste, l'homme d'église rate son entrée dans le monde. Félicité Rougon lui a bien ouvert son fameux salon vert, mais l'homme, avec ses manières brusques, son visage sévère et sa soutane usée a fait mauvaise impression. C'est par Marthe qu'il va conquérir les dames de la bonne société. A son contact, l'épouse modèle, et jusque là athée, s'ouvre à la foi la plus ardente et l'introduit chez les notables de la ville. Faujas, sous ses dehors réservé, s'immisce peu à peu dans la vie de ses propriétaires. Sa sœur Olympe et son mari viennent eux aussi loger chez les Mouret, bien décidés à obtenir leur part du gâteau. Octave, Serge et Désirée sont envoyés au loin, François, qui résistait à cette emprise, est déclaré fou et interné, Marthe se retrouve à la merci de l'abbé pour qui elle est prête à toutes les extrémités. Soutenue et recommandée par la nouvellement dévote, Faujas devient l'homme fort de la ville, bien vu du camp bonapartiste comme de celui des légitimistes auxquels il a ouvert le jardin des Mouret, terrain neutre où tout le monde se rencontre, discute et complote. Dépouillée de tous ses biens sans même sans rendre compte, rejeté par Faujas qui méprise les femmes, Marthe sombre dans la folie. Le drame rôde, le dénouement ne pourra être que fatal.

    Avec le quatrième tome de sa saga, Zola revient à la source, Plassans, pour un roman sombre et plein de tensions. On s'introduit dans la vie des Mouret, des époux consanguins puisqu'ils sont cousins. Jouissant de leur rente dans une maison coincée entre la sous-préfecture bonapartiste et la résidence du président du tribunal civil, légitimiste, les Mouret s'occupent peu de politique et n'ont pas de vie mondaine. Pourtant Plassans est un chaudron où chacun cherche la fortune, la reconnaissance, la gloire ou le pouvoir. Pour cela, on complote, on s'allie, on retourne même sa veste. A Paris, on s'inquiète de cette ville de province qui a élu un légitimiste aux dernières législatives. Faujas est donc envoyé à la reconquête de Plassans, à l'approche des prochaines élections. Dur, calculateur et ambitieux, l'abbé est pour Zola une proie de choix pour une critique du Clergé, plus préoccupé des choses terrestres que des affaires de Dieu, la piété de ses ouailles n'étant qu'un levier pour ses ambitions politiques. Autre thème : la folie. La grand-mère, Adélaïde Fouque, a semé cette graine chez des descendants, effrayés à l'idée de sombrer, toujours sur le fil du rasoir. François et Marthe n'échappent pas à la tare familiale : un grain de sable dans les rouages de leur vie tranquille et tout part à vau-l'eau. Et puis il y a Plassans, lieu de toutes les intrigues. Les camps opposés se livrent une guerre de prestige, de réputation, de relations. On s'épie, on médit, on complote, le moindre geste est disséqué, chaque parole interprétée, tout faux pas cher payé...
    Avec cette Conquête de Plassans, Zola s'est surpassé dans la dissection de la noirceur humaine. Tous ces personnages en sont marqués, sans rédemption possible. Ambition démesurée, envie, jalousie, mesquinerie, maniaquerie, conspiration, avarice, vénalité, autoritarisme, fanatisme, autant de vices qu'il nous décrit par le menu dans un récit vif et, il faut le dire, plein de suspens. Addictif et brillant !