"190 ans de passion littéraire"

 

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3 octobre 2013

le corps (trop) humain

Paolo Giordano, vous le connaissez, c’est le prodige italien de vingt-six ans qui raflait les prix les plus prestigieux à la sortie de son premier roman, en 2008. Vous faites peut-être partie des millions de lecteurs qui ont été hypnotisés par sa_ _« Solitude des nombres premiers »_,_ et peut-être serez- vous déçus d’apprendre que le docteur en physique théorique a troqué le roman d’amour contre le roman de guerre. Pas si vite ! « Le Corps humain » parle aussi d’amour, il élargit simplement le champ d’investigation ; en partant du plus trivial – le corps, ses besoins et ses dysfonctionnements – il finit par disséquer les ressorts les plus immatériels de notre humaine nature. Et où, sinon à l’armée, trouve-t-on la plus grande concentration de corps ardents ?

Une base italienne en Afghanistan. On l’oublie souvent mais l’armée italienne aussi est enrôlée dans ce fiasco de sable et d’embuscade qui, depuis plus de dix ans, envoie à la mort des gamins assoiffés de jeux vidéo. Zoom sur le peloton Charlie. Il y a Cederna, le fanfaron de la troupe, beau gosse et tireur infaillible, Ietri, « la pucelle », fils à maman qui a vu dans l’armée un moyen de s’affranchir enfin, Zampieri, la seule fille, endurcie à la misogynie ambiante, Mitrano, le souffre-douleur, Torsu, qui chatte chaque soir avec une petite amie virtuelle, René, l’adjudant du groupe, droit dans ses bottes et gigolo à ses heures (sous la plume de Giordano, l’alliance des deux éléments n’a rien de paradoxal). Il y a un colonel qui est sans cesse en train de palper son appareil génital, un interprète afghan qui vend du hash sous le manteau, des soirées improvisées autour de gobelets en plastique et une épidémie de dysenterie. Et il y a le lieutenant Egitto, médecin de la base. Zoom sur le plus beau personnage du livre (de la rentrée ? de 2013 ? de la décennie ?). La trentaine, mutique et solitaire, accroc aux antidépresseurs, une affection dermatologique qui rend friable la peau de son visage et une incapacité à affronter les douleurs ne relevant pas du _corps humain_. On découvre peu à peu que la guerre, la vraie, se joue à Turin, entre sa sœur et sa famille, et on comprend ce que le lieutenant a voulu fuir.

Le « corps humain », c’est tout ce petit monde d’êtres paumés et attachants, de pères, de fils, de maris, engagés volontaires pour flirter avec la mort et incapables de comprendre pourquoi. Ensemble, ils composent le vulnérable corps (d’expédition) qui se lance, un matin, dans le désert pour y connaître l’enfer. Mais n’allez pas parler de syndrome de stress post-traumatique à ces gaillards au cœur comprimé. À quoi bon mettre des mots sur ce que le corps endure au plus profond de lui-même ? La scène la plus réussie de ce roman majeur (et la concurrence est rude) : après l’hécatombe, la visite du psychologue de l’armée, aussi violente qu’un choc des plaques tectoniques. Ses mots élimés et son impassibilité policée se heurtent à la réalité de la mort.

Les mots de Giordano, en revanche, épousent parfaitement la réalité (pour tout dire : ils lui _font_ _l’amour_). Il y a du Céline dans ce roman de médecine et de guerre. Des dialogues rudes – beaucoup de dialogues –, des images brutes, de l’humour désespéré. Un scénario digne des meilleures séries, magnifié par une voix moderne et incandescente. Merci à Nathalie Bauer, la traductrice, d’avoir su conserver toute la puissance de cette œuvre qui compte. Résolument.

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3 octobre 2013

Moi d'abord !

Lionel Duroy est infatigable. Il continue de ne pas se taire. Il s'évertue à tout écrire, à se livrer sans concession, à se mettre à nu, qu'importe si ses neuf frères et sœurs ne lui adressent plus la parole et si son fils aîné lui a intenté un procès*. « Il faut payer le prix des ruptures pour parvenir à prendre en main sa vie » : plus que le roman de l'amour, c'est d'abord le récit de l'interdit. Trois ans après le succès de « Chagrins », Lionel Duroy renoue avec l'autobiographie et poursuit son questionnement autour de la famille et du couple, pour dire toutes ces choses que ses proches refusent formellement d'entendre.

Mais pour nous qui ne faisons pas partie de son cercle intime, on lit la première page et il est déjà trop tard. Le piège se referme. La magie opère. Le train est lancé. Augustin vient de se séparer d'Esther, la deuxième femme de sa vie. Esther, à qui il voue une adoration sans borne, et qu'il a choisie après sa rupture avec Cécile, sa première épouse. Il revient sur vingt ans de vie commune et sur ce qui les a fait sombrer. Au fur et à mesure de l'analyse de sa passion dévorante pour cette jolie brune au visage grave, il remonte jusqu'à son amour pour Cécile, avec qui il a eu deux enfants. Pendant plus de 400 pages, l'auteur scrute les sentiments à la loupe, décortique et remue maladivement le passé. Car c'est cela, la vie, pour lui : essayer de comprendre ce qui nous arrive.

À travers le personnage d'Esther, mystérieux et ambivalent, Lionel Duroy pose surtout cette question chimérique : « qu'est-ce qu'aimer ? ». Il explore le couple, le rôle que l'on y joue et la place que l'on veut bien donner à l'autre. Plus que le récit d'une séparation, « Vertiges » est une perpétuelle introspection : pourquoi une relation amoureuse devient-elle destructrice ? Dans la veine de « Chagrins », l'auteur évoque aussi la lourde enfance qu'il traîne derrière lui comme un boulet, la sourde haine qu'il voue à sa mère folle et terrifiante, et la honte de son père dévoué mais méprisé. Il dit ces gestes quasi machinaux que l'on mime instinctivement, et qui sont ceux de nos parents, ces situations semblables en tous points à celles qu'ils ont eux-même connues, trente ans plus tôt.

Et chaque moment compte. Les paroles sont sacrées, les regards sont à encadrer, les attitudes à garder sous verre. Enfin de vraies larmes. Enfin un homme qui geint, s'égare, se lamente et gueule sa douleur, dans une sincérité absolue et un style impeccablement maîtrisé, où narration et dialogue se mêlent, collant parfaitement au cheminement de la pensée. On retrouve un auteur pour qui écrire tourne à l'obsession, toujours en proie au doute, à une souffrance extrême. On étouffe un peu de cette lecture, dont les mots, ceux d'Esther notamment -« Dors bien mon chéri, écris bien mon chéri, repose-toi mon chéri »- résonnent encore, longtemps après avoir refermé la dernière page. « Vertiges » transpire l'émotion. Il transporte, ébranle et désarçonne. On en ressort exténué, mais ravi.

_* La maison d'édition Robert Laffont a été condamnée, en mai dernier, à verser 10 000 euros de dommages et intérêts au fils de Lionel Duroy pour atteinte à sa vie privée. Dans « Colères » (Julliard, 2011), l'écrivain évoque une relation difficile avec Raphaël Duroy, (David dans le roman)._

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29 septembre 2013

C'était mieux avant

« C’était mieux avant ». C’est par cette phrase toute simple, galvaudée presque, que Pontalis commence son dernier livre. Elle sera le fil rouge de cet ouvrage ou la question du temps et celle de la mémoire sont centrales. C’était quand avant et d’ailleurs avant quoi ? Et quelle mémoire gardons-nous de cet avant. Comment naissent la psyché, le langage ? Parler de ces textes courts de Pontalis est presque impossible, voir inutile. Il faut les lire c’est tout. Et chaque fois, que ce soit dans « L’amour des commencements », « Perdre de vue », « L’enfant des Limbes », la même délicatesse avec les mots et parfois des fulgurances somptueuses « Nous n’aspirons pas à l’éternité, sinon à celle de l’instant.»

Il n’y aura pas de suite à « Avant ». J.-B. Pontalis est mort en janvier, le jour de son anniversaire. Il est parti au pays de l’Après et l’on n’imagine pas un instant qu’il n’écrive plus, qu’il ne pose plus de questions. C’est certain, il en reviendra avec un livre.

En attendant, vous pouvez écouter un mélange de textes de ces différents livres lus par Daniel Pennac. Conteur-né, généreux, Pennac apporte une humanité à ces textes concis, pudiques, presque immatériels et pourtant si personnel. J.-B. Pontalis par Daniel Pennac. Une lecture égoïste  CD Gallimard.2006. 54 minutes.

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Histoire secrète d'une trahison

Seuil

19,50
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29 septembre 2013

Pouvoir, pétrole et pognon

Le livre de Catherine Graciet « Sarkozy Kadhafi, histoire secrète d’une trahison » paraît accompagné d’un lancement de presse conséquent. Evidemment le sujet est intéressant. On se souvient de l’apparition télévisée de l’un des fils de Kadhafi, Seif el Islam, peu de temps avant l’intervention militaire initiée en grande partie par Nicolas Sarkozy. « Il faut que Monsieur Sarkozy rende l’argent qu’il a accepté de la Lybie. C’est nous qui avons financé sa campagne et nous en avons la preuve. » Ce sont bien des preuves que nous attendions de ce livre, mais force est de constater qu’elles n'y sont pas. Catherine Graciet a la conviction que ce financement est bien réel –elle confirme le montant de 50 millions d’euros déjà révélé par Mediapart, payé en deux fois (on a tous des problèmes de trésorerie !), plus 7 millions de commission versés à un intermédiaire. Elle décrit avec précision le modus operandi et affirme que ces preuves - dont elle a l’honnêteté de dire qu’elle ne les a pas vu -, notamment une vidéo impliquant un homme politique français, sont détenues par des kadhafistes qui les divulgueront le moment venu. A l’époque des premières révélations par Mediapart, Sarkozy a nié et intenté une action pour usage de faux qui suit son cours. Gageons qu’il n’attaquera pas ce livre, certainement relu par un avocat qui a su imposer les conditionnels nécessaires.

Si, sur le plan des preuves cet ouvrage, écrit un peu vite, est donc décevant, il reste malgré tout passionnant. On plonge dans l’univers de la diplomatie parallèle, où les affaires et les ventes d’armes font couler l’argent à flot. Tout cela est parfaitement décrit, totalement convaincant et l’on réalise à quel point les droits de l’homme, la politique arabe de la France et patati et patata ne pèsent rien quand il s’agit de vendre des Rafales, d’envisager de transférer des technologies nucléaires, d’acheter du gaz ou même de vendre des systèmes de flicage de l’internet.

Ce qui est intéressant aussi, c’est l’organisation de tout cela au plus haut niveau de l’état. Tout était centralisé à l’Elysée par Claude Guéant, qui sera au cœur de toutes les négociations avec la Lybie (et avec le Proche-Orient et l’Afrique en général). On a du mal à croire, après la lecture de cette enquête, que la seule vente de deux tableaux de petits maîtres (via la Malaisie !) et quelques primes payées au noir puissent justifier tout l’argent liquide qu’il a dépensé. L’actualité est taquine qui met sur le devant de la scène un autre homme-clef de cette diplomatie élyséenne que l’on croise souvent dans ce livre: Boris Boillon. Celui qui a participé à la négociation en vue de la libération des infirmières bulgares avec l’inévitable Claude Guéant, avant de devenir ambassadeur de France en Irak, puis en Tunisie s’est reconverti dans les affaires. Il vient de se faire attraper avec 350.000 € et 40.000 $ en liquide avant de monter dans le train pour Bruxelles. C’est ballot. A sa décharge, convenons que le Thalys a beaucoup augmenté ces derniers temps.

Enfin, le livre de Catherine Graciet apporte un éclairage fort utile au moment où l’on s’apprête à intervenir en Syrie. Elle raconte qu’un commando français avait été envoyé en Lybie pour abattre Seif el Islam (sur ordre de qui ?). Informés des plans français, ce fils de Kadhafi fut protégé puis exfiltré vers le Niger par les services …russes. On voit aujourd’hui les même forces et les mêmes alliances se mettrent en place. Les Américains, les Anglais et les Français (de plus en plus liés aux Qataris), s’opposent à nouveau aux Russes qui n’ont pas envie de voir leur dernier allié dans la région finir comme Kadhafi. Il y a là un parfum de guerre froide qui pourrait bien trouver un ultime développement dans les sables de ce désert gorgé de gaz et de pétrole. Au nom de la liberté, de la démocratie et du respect des populations civiles. Cela va de soi.

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29 septembre 2013

Voyez la vie en rose... Mais n'en portez pas !

En ces temps médiatiques où chaque célébrité dure à peine un quart d’heure, la popularité de Karl Lagerfeld semble sans limites. Comment cet homme, qui fête cette année ses 80 ans, est-il devenu une véritable « rock star » que les plus jeunes poursuivent dans la rue (sa grande fierté) pour une photo? Quelles sont les clés de cette séduction durable alors qu’il œuvre pour l’éphémère ?  Dans une jolie préface à ce florilège hilarant des bons mots du « grand » Karl, Patrick Mauriès avance une réponse intéressante : le couturier serait la réincarnation moderne des jeux d’esprit des salons littéraires. « L’irrégulier » comme il le surnomme (hommage au titre de la biographie de Chanel par Edmonde Charles-Roux), le reconnaît lui-même: il s’amuse terriblement à se mettre en scène du soir au matin comme un pantin dont lui seul maîtrise l’équilibre. Au cours de cette lecture réjouissante, on cerne un peu mieux le personnage derrière les citations. Le « grand » Karl est un paradoxe vivant. Héritier d’une éducation rigoriste, il s’en est affranchi tout en conservant une véritable distance salvatrice avec la vie et l’époque. Bourreau de travail d’une insatiable curiosité, ses passions, notamment les livres et la photo, lui permettent d’accumuler un matériau qu’il réinterprète ensuite à l’infini pour se réinventer. Il déteste le passé et la postérité ne l’intéresse pas. Profondément de son époque, il s’amuse de ses contemporains comme de lui-même. Ce recueil est une belle idée qui nous vient d’éditeurs américains (l’ouvrage français est une traduction), la popularité de Karl Lagerfeld dépassant bien sûr largement nos frontières. Grâce à cet ouvrage chacun pourra désormais se délecter de sa philosophie et, pourquoi pas, faire siennes quelques-unes des saillies de celui qui se définit si bien. Laissons-lui le dernier (bon) mot: « Je suis superficiel mais avec une grande superficie ».

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